La forêt a été une histoire d’amour de mon enfance avant de devenir un sujet de peinture. Une peinture «figurative» qui me permet la plus grande adéquation à moi-même et convient à mon travail axé sur le réel sensible plutôt que mathématique. L’art demeure pourtant toujours une invention culturelle et une activité de l’esprit.
Ma représentation du monde, le plus souvent forestier, a adopté diverses formes et niveaux de complexité au long des années; elle alterne souvent la couleur avec le monochrome depuis la décennie 90 et se permet aujourd’hui une monochromie qui joue avec la couleur et une précision photo qui s’autorise les effacements et les approximations. Je privilégie les développements qui naissent les uns des autres plutôt que les virages programmés. J’ai suivi mon propre chemin d’abord par instinct; et puis j’y suis restée fidèle quand j’ai compris que cette honnêteté-là était une condition absolue sans laquelle je ferais de la mauvaise peinture. « J’habite ma propre demeure », comme disait Nietzsche.
Enfin, j’ai pratiqué, avec un plaisir de cuisinier, l’exploration des supports et des médiums picturaux très variés qui ont accompagné les époques successives de mes explorations forestières aussi bien que picturales. J’y ai été inventive pour répondre aux problèmes qui se posaient.
Mes activités se partagent de longue date entre le monde de l’écriture, qui est celui de la pensée langagière, et celui de la peinture qui pense en images et en formes, reste étrangère aux mots et suit son intuition. J’aime écrire comme j’aime peindre, mais je garde ces deux amours séparés pour éviter les interférences du premier dans le second qui garde le plus souvent la priorité.
S’il est une chose que m’a apprise une vie déjà longue, c’est que le progrès et la vérité ne sont jamais que très relatifs en art comme ailleurs; ils se bousculent et se renient trop souvent tout au long de l’histoire du monde; ce qui n’est pas une raison pour ne pas y tendre sans toutefois être dupe.
Suzanne Joubert a obtenu un baccalauréat en arts visuels en 1973 de l’Université d’Ottawa avec la médaille d’or d’excellence, puis une maitrise en arts visuels de l’UQAM (volet création) en 1989. Elle a été récipiendaire de nombreuses bourses, en début de carrière surtout. Elle a été chargée de cours à L’UQAH (aujourd’hui UQAG) durant une dizaine d’années, ainsi qu’à l’Université d’Ottawa. Elle a fait partie de plusieurs jurys artistiques, y compris celui du prix Borduas. Elle a tenu une quinzaine d’expositions solo et participé à de très nombreuses expositions de groupe. On trouve ses oeuvres dans un grand nombre de collections publiques et privées, au Québec et au Canada surtout. Critique d’art pendant les années 80 et début 90, elle a publié deux livres : Éloge de l’inactualité (Fides, 2000), et Créer : ce qu’en disent les artistes (2015).