Angèle Verret du 3 au 27 avril 2014

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Angèle Verret

N’être plus qu’un lieu

du 3 au 27 avril 2014

Peinture, à la fois d’inquiétude et d’apaisement, qui installe une distance, qui oblige à reconsidérer – avec et contre – non tant la peinture que ce qui la fonde, non tant le langage que ce qui le sous-tend, non tant l’image que sa nécessité. Peut-être la peinture d’Angèle Verret reconduit-elle finalement le pouvoir de fascination et d’inconfort de l’aura de l’idole. Car si l’étymologie grecque et latine atteste du lignage de l’eidölon et de l’idolum à l’image, toutes deux signalent ce qu’il a de liens au fantomatique, au spectral ; le grec ecclésiastique, lui, le rattache à la «forme» – mais qu’est-ce au juste qu’une forme fantomatique ? Serait-ce donc d’un indécidable que la forme de ces images constaterait ? Une somme de «comme si…» : comme si, une photographie, comme si, un épiderme, comme si… la vue aérienne d’un paysage rocailleux ou autre… Comme si, en effet, mais où, remarquablement, le mot peinture, lui, n’apparaît régulièrement que de manière interrogative : «C’est de la peinture, ça!?». Pourquoi cela? Parce qu’au-delà, peut-être ? Non. Tout simplement parce que jamais vu ainsi. Comment voir, alors? Et, le cas échéant, qu’y verrait-on? Comme l’indique le nom de l’artiste, voir est une proposition conditionnelle.

Au début, l’image ne se sait pas. Verret n’en a pas idée, elle découlera des spécificités, des caractéristiques, de la peinture acrylique et de ses limites; de la dilution de la matière par adjonction d’eau, de la séparation des teintes, des suites de cet ajout, des qualités de brillances et de matités, des densités relatives de la matière, de ses opacités et transparences, etc. Ce à quoi s’ajoute l’imaginaire quant aux outils; Pierre Soulages a déjà relevé à quel point leur choix surdétermine le résultat. L’outil inusité, dont la maîtrise n’est, au mieux, que labile, produit une écriture et des effets surprenants, sinon même inconnus, qui élargissent le vocabulaire plastique, là où celui qui est plus conventionnel peine à excéder les limites de son emploi parce que plus connues. Mais plus que cela encore, la déstabilisation du regard que provoque l’usage de broches à cheveux, spatule de deux mètres et autres voiles de plastique, véritables outils d’ébranlement, produit d’impensables traverses où s’ancre le désir d’avènement d’une reviviscence. Il ne s’agit pas d’art pour l’art, que de surprise ou d’étonnement, l’avènement d’un signe est toujours fonction d’une efficacité supérieure quant aux attentes de l’artiste. La retenue d’un signe est du fait qu’il élève qualitativement la sensation de sa nécessaire présence quant à l’image; question d’incidence. Approche dispersée, définitivement attentive à la moindre inflexion de la matière, inflexion dont les qualités sont immédiatement jaugées par et pour elles-mêmes ainsi qu’en regard de leur potentialité d’insertion dans l’ensemble. Certains effets stupéfiants d’inattendu sont reconnus pour l’avenir mais effacés, détruits, parce que trop séparés, ne pouvant s’insérer dans le «tout-ensemble». De même, celui-ci est constamment en péril tant les procédures produisent des sentiers imprévus que l’artiste peut décider de suivre, pour y voir, au risque même de tout perdre. L’aspect dominant qui est pris en compte est la réaction de la matière aux gestes qui l’affectent; nous sommes face à une observation des effets physiques produits. Mais sur quoi se fonde la retenue d’un effet, la surprise d’une singularité? Cela ne peut-il tendre vers le décoratif ou la gratuité? Qu’en est-il de l’exigence qui préside, ici, de sa nature? Le signe ne doit pas qu’excéder le langage; il doit, surtout, permettre l’espoir que son dépassement conduira le spectateur au plus près de ce que l’artiste a ressenti face à l’inconnu, sans nom, de la peinture : vue aphone d’adhésion, les regards de l’un et l’autre se joignent de part et d’autre de l’image.

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Dans le temps, les leçons de l’effet accidentel peuvent être volontairement reprises. Étranges leçons, en vérité, étrange volonté car, comment reproduire le fortuit, l’imprévu, d’un événement inattendu? Comment insérer sa coupe dans ce qui est, essentiellement, mouvement? Ne serait-ce pas ici que le caractère salvateur de la forme fantomatique apparaîtrait soudainement, comme un écho venu on ne sait d’où, pour hanter, du souffle de son souvenir approximatif, ténu mais prégnant de nécessité, la main de l’artiste? Vu ainsi, le geste posé donnerait à voir une réverbération de cet écho passé. Mais le geste et le signe qui en découle, tout cela est extrêmement labile, tant l’intensité du souvenir, quant à ce qui fut déjà produit par le passé, est variable. La reprise doit dès lors se lire «reprise», même s’il est juste de dire que certaines réapparitions sont plus claires à la mémoire et, qu’alors, cela est plus dirigé, voulu, orienté. La prégnance quant au sentiment d’inconnu de la peinture doit, cependant, y être.

Il est rare qu’un tableau soit fait d’un coup. Celui-ci résulte plutôt d’une suite de destructions, de reprises. Certains tableaux ont, ainsi, été faits et refaits, plusieurs fois. D’y revenir ainsi donne à penser à quel point cette façon de faire est, d’une part, proche d’un bégaiement et, surtout, d’une immersion de vécu de sensation. Il ne s’agit pas d’un brouillard, c’est, au contraire, à une extrême acuité de présence à ce qui se produit, et d’orientation quant à cela; la grande connaissance qu’a Verret de sa matière lui permet d’ajuster finement face à ce qu’elle entrevoit; ses interventions sont alors très intuitives; si l’ajustement du caractère d’un parfum demande un calibrage qui repose sur l’expérience, c’est ce que celle-ci permet d’intuition qui, à la fin, fera la différence.

Enfin, le résultat du travail pictural est toujours un reste. D’une part, par ce qu’il laisse derrière lui de mise à l’écart, de recouvrements, de repentirs ou de regrets, mais aussi de satisfaction. En reste, d’autre part, en regard de cela qui dut être sacrifié afin d’exister. Reste, souvenir, mémoire, présent fait de passé, lieu de hantise, d’inquiétude et d’apaisement, l’image est un deuil, mais un deuil étrange. Le sacrifice est une forme de jouissance par ce qui est attendu d’érotisation de la matière. On tue en peinture pour l’avènement du désir. Là est, dans ce moment de condensation, la jouissance. Et il n’y a que par la matière qu’on y arrive. De part et d’autre de cette aventure, l’acceptation de notre dépossession ouvre l’image au regard.

Michel Bricault

Michel Bricault est chargé de cours à l’École des arts visuels et médiatiques de l’UQÀM, il y enseigne principalement le dessin et la peinture.

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L’artiste remercie le Conseil des Arts et des Lettres du Québec pour son soutien financier.